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Un site porno cité comme exemple… sur un site grand-public de DuckDuckGo

Article Safe For Work (dont la consultation est convenable au travail ou à l'école) : pas de contenu graphiquement érotique ou sexuel, ni de lien hypertexte fonctionnel vers tel espace Web, mais cela reste le thème de fond de cet article.

Duck Duck Go est un moteur de recherche états-unien axé sur le respect de l'intimité, une start-up qui avec son concurrent Ixquick (Pays-Bas) est l'une des alternatives les plus viables face à Google. C'est aussi un service très "geek" (au sens technophile/nerd), avec un système de raccourci (!bang syntax), de nombreuses fonctions intégrées (calcul mathématique, IP, petites bases de données, etc).

La firme édite plusieurs sites satellites à thématique propre & ciblant un but précis, parmi ceux-ci le dernier en date, mis en ligne en avril 2015 : PrivateBrowsingMyths.com (le site web incriminé dans le présent article), c'est-à-dire "Les Mythes de la Navigation Privée". Il dénonce -à très juste titre- pourquoi les modes dits de "navigation privée" des navigateurs Web (Opera, Firefox...) sont trompeurs, en tout cas dans leur nom. 

Pour faire simple : cettte fonctionnalité ne fait que effacer les traces (historique, cookies...) en local (sur l'ordinateur, et encore attention : uiniquement dans le dossier dédié à ce navigateur), et nulle part ailleurs. Pour les yeux extérieurs (FAI, hébergeurs de sites, éditrice, mouchards publicitaires)... cela ne change rien. Coïncidence ? J'avais écrit un article sur ce thème il y a deux ans et demi.

Ce site Web poursuit un but noble, et est une bonne initative en soi, mais lorsque l'on consulte le site (une seule longue page en fait), on arrive rapidement un exemple gênant.

Regardez en contexte :
capture d'écran du site Private Browing Myths

Figure n°4, pour les mouchards tiers parfois nombreux sur une page web, c'est un site pornographique qui est mentionné comme exemple (pas au sens de "bon" exemple comme la première de la classe, juste comme une illustration). Et pas n'importe quel site porno, à trois titres :

  • l'un des plus connus au monde, empruntant son nom au deuxième moteur de recherche mondial ;
  • un site porno au sens le plus commun : pour des hommes hétéros ;
  • un service qui néglige manifestement la vie privée de ses visiteurs : pas de fenêtre avertissant de la nature adulte des contenus (souvent un écran rose ou rouge avec un bouton "Entrer" et un autre "Sortir"), site injoignable en connexion sécurisée HTTPS (on vous redirige vers la même page en HTTP).

J'estime qu'il s'agit d'une très mauvaise idée d'employer tel site comme exemple de page comportant de nombreux trackers publicitaires & assimilés dans son code source. Et méga-surprise : une seule femme fait partie des 23 employé·e·s de la société DDG (soit 4,35 %) :

capture d'écran de la page À Propos de l'éditeur DuckDuckGo

Ce choix renforce l'idée que la protection de l'intimité serait réservée aux hommes hétérosexuels... qui est déjà un profil très courant pour les personnes douées ou embauchés dans le milieu informatique. Je parie que 95% des utilisateurs-trices de DuckDuckGo sont des passionné·e·s d'informatique, bidouilleurs·euses et autres geeks technophiles, c'est-à-dire des personnes qui savent déjà -et mieux que la moyenne- comment se débrouiller avec un ordinateur, un logiciel ou Internet.

En tant qu'adulte, les dirigeants (dont le fondateur, un homme pas connu pour être homo-, bi- ou pansexuel) savent évidemment que le "porno masculin hétéro" n'est pas un sujet recommandable à n'importe qui. (Je n'imagine pas mon enfant saisir cette URL trouvée sur ce site, dans la barre d'adresse du navigateur, juste pour voir de quoi parle ce site qui lui est inconnu.) Ce n'est pas non plus un domaine [le porno] où les femmes sont respectées, donc il est évident que de nombreuses femmes se sentent très mal à l'aise face à cet exemple. Elles ne peuvent pas s'identifier avec le visiteur de ce type de sites [pornographiques], parce que les films pornos sont faits par des hommes pour des hommes qui veulent profiter de femmes en les assimilant à des objets.

Mais il y a peut-être une facette pire encore dans ce choix [d'un site érotique comme exemple de site avec des tas de mouchards tiers] : il peut aussi être interprété comme :

le sexe/des vidéos privées sont le seul contexte dont on peut ou doit avoir honte, et que donc, on doit le supprimer de l'historique de son navigateur.

Au final, c'est a minima un choix très maladroit pour un site tout-public, à moins qu'il s'agisse d'une sacrée provocation ? Cela doit changer.

Si vous êtes journaliste, lanceuse·eur d'alerte, médecin, avocat·e, ingénieur·e, responsable d'ONG, parent ou simplement un·e citoyen·ne se sentant concerné·e par la vie privée... vous avez profondément besoin d'effacer tout ou partie des traces de votre activité sur un ordinateur. Régulièrement.
Votre intimité ne regarde personne d'autre. C'est aussi simple que cela, et nul besoin qu'il s'agisse d'un sujet relatif au sexe.

Voici quelques sites grand-public, au moins pas trop états-unio-centrés, qui eux aussi portent de nombreux "pisteurs" (trackers) :

  • dailymotion.com : 14 ;
  • news.vice.com/es : 12 ;
  • www.huffingtonpost.co.uk/young-voices/ : 13 ;
  • www.buzzfeed.com/?country=mx : 11 ...

Même si ce site PBM à propos d'une appelation trompeuse vaut sa visite parce qu'il démonte un mythe, ce choix dégeulasse est encore-une-preuve-s'il-en-fallait-une que le sexisme dans le secteur technologique, n'en est pas un.

(Billet adapté de ma propre note en anglais postée sur leur page Facebook. La compagnie n'a pas réagi. Article écrit début août, publié seulement maintenant pour de multiples raisons. Je viens de vérifier : la page n'a pas changé. Seule l'équipe s'est agrandi... avec deux hommes en plus.)

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